Hélène Sorbé
Approche poïétique et Picturalité
Si la notion de « pictural » s’impose sous la plume du peintre Eugène Fromentin (1876)[1] et se repère plus tard chez Proust (1918)[2], nous devons sa première occurrence (1845) à Francis Wey[3]. Au regard de la peinture, son introduction correspond à l’émergence d’une nouvelle manière de peindre, rompant avec les conceptions néo-classiques privilégiant la ligne – ce que Wölfflin définit comme le style linéaire[4] – : une manière donnant voix de parole à la matière picturale, à son expressivité, décelable dans les traces de pinceau comme les inflexions du geste. Cette pratique est liée à l’école de Barbizon qui préfigurera l’Impressionnisme. Toutefois, avant la lettre, le phénomène auquel renvoie « pictural » suscita chez le philosophe et critique d’art Diderot, face à La raie de Chardin, un texte (1767)[5] aussi pertinent qu’inoubliable, exprimant sa perception sensible de l’œuvre, telle un corps qui anime le regard du spectateur et réciproquement.
Pourquoi convoquer, aujourd’hui, ce concept ? On a dit, en 1839, lorsque la photographie est « née » : « la peinture est morte », même scénario fin XXe siècle avec le raz-de-marée de l’image numérique… Pour autant, la peinture n’est pas morte. Bien au contraire, de jeunes artistes européens exposent à travers leurs images peintes une dialectique entre le « plastique » et « l’iconique », « signifiant » et « signifié », toujours renouvelée : la marque distinctive de chacun. Une pensée plastique est à l’œuvre, qui passe par le faire. Ce sont leurs picturalités que nous souhaitons étudier, via leur analyse poïétique d’une part et notre propre pratique picturale d’autre part.
(6.1.2015)
[1] Eugène Fromentin, Les maîtres d’autrefois (1876, p. 193)
[2] Marcel Proust, Les Jeunes filles en fleurs (1918, p. 926)
[3] Francis Wey, dans ses Remarques sur la langue française (1845)
[4] Heinrich Wölfflin, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art (1915)
[5] Denis Diderot, Salon de 1767